Le gambison d’Enguerrand de Malrepast
Le gambison est un élément constitutif d’une bonne armure. En effet, là ou le haubert de maille prévient du tranchant des lames et des pointes de certains projectiles, il est inefficace contre les chocs et les impacts occasionnés par ces armes. Aussi l’adjonction d’un vêtement rembourré ou capitonné permet d’amortir l’onde des coups et d’empêcher la trop forte pénétration des pointes.
Dans ce domaine, l’archéologie ne nous a laissée que trop peu de sources occidentales de la fin du XIIe siècle sur ce vêtement de guerre, la seule étant une relique appelée « Manche de saint Martin », pièce de différents textiles, exposée en l’église de Bussy-Saint Martin (77), dont l’analyse au carbone 14 donne une date dans une fourchette allant de 1160 à 1270. Si cette imprécision relative nous empêche de prendre cette pièce comme exemple pour la période qui nous occupe dans le collectif, elle nous apporte néanmoins certaines informations qui, recoupées avec d’autres sources, statuaires, écrites ou iconographiques peuvent nous permettre de proposer plusieurs solutions pour construire un gambison crédible.
Pour cela, je vous invite à lire l’article de Jehan le Podestat qui dans son article du 13 avril 2005 cite quelques sources issues de chansons de geste antérieures à l’époque que nous étudions. J’y ajouterai cependant celles ci :
La première est issu des « Assises de Jérusalem, ch. 103, Gay, p. 758 » et daté de 1250
Que chascun ait costes à armer et gambison se veaut, et se il ne vaut gambison, il doit mettre devant son ventre. Une contre curée de tèle ou de coton, ou de bourre de lène...
La seconde, scandinave, est de la même époque (mi-XIIIe). Elle est issue du « Miroir du Roi ». Ce texte en ancien norvégien a été traduit en anglais. En voici un extrait traduit en français :
[...]Au dessus et près du corps, il devrait porter un gambison léger qui ne nécessite pas de descendre plus bas que le milieu de la cuisse. Par dessus, il doit y avoir un fort plastron fait d’un bon fer, couvrant le corps du mamelon jusqu’a la ceinture des chausses. Par dessus cela, un haubert bien fait. Et par dessus le haubert, un solide gambison fait de la manière que j’ai déjà décrite mais sans les manches.[...]
Ces sources sont certes postérieures mais elles apportent un éclairage sur l’importance de porter un gambison et sur la manière de le fabriquer.
Pour le gambison d’Enguerrand, je me suis inspiré d’une scène du Grand Psautier de Canterbury (Angleterre 1180 - 1190) (fig 1). On y voit sur cette image biblique Goliath en mauvaise posture face à David, portant ce qui ressemble à un vêtement surpiqué, avec un « décrochement » au dessus du niveau du genou. Il semble que le haubert qu’il porte par-dessus suive la même coupe. Le surpiquage dans le cas présent ne semble pas linéaire et continu mais fait de points de coutures épars, à la manière du capiton des anciens matelas.
Christopher Gravett dans le Osprey « Warrior Series 1 NORMAN KNIGHT 950 - 1204 AD » ne semble pas d’accord sur le fait que ce que montre cette source soit un gambison. Selon ce qu’il écrit en légende, cela pourrait être un bandeau de cuir attaché pour éviter le flottement du haubert ou le bord d’une doublure jointe. Mais en l’absence d’une explication vérifiée, j’ai finalement décidé de tenter l’expérience en partant du postulat que c’était là bien un gambison.
J’ai donc réfléchi à plusieurs solutions. La première était de faire fabriquer un vêtement fait de tubes remplis d’étoupes de lin, de coton ou de laine. La seconde était de faire fabriquer une pièce de vêtement constituée d’une superposition de drap de laine, prise entre deux toiles de lin et surpiquée pour maintenir l’ensemble. J’ai opté pour la seconde solution, car la protection contre la pénétration d’objets est complète, même à l’endroit des coutures, ce qui n’est pas le cas dans la solution précédente. J’ai donc fait faire par une couturière un vêtement constitué de la manière suivante (fig 2) :
une couche de lin fort à l’extérieur, une couche de lin fin à l’intérieur ;
huit couches de drap de laine couvrant des épaules aux reins et des épaules au bas du ventre et sur le col ;
cinq couches de drap de laine sur les bras et sur « la jupe » du gambison .
Le tout est surpiqué, en losanges croisés sur le haut du corps (poitrine et haut du dos) et en lignes parallèles sur les bras et le bas du corps. Une passementerie a été cousue sur le bas du gambison. Elle est provisoire et sera remplacé dans le futur.
Aucune fermeture n’est posée sur le col (fig 3) qui est légèrement ouvert à gauche et à droite. Celui ci se referme parfaitement lorsque le haubert vient par dessus.
Un gousset d’aisance a été ménagé au niveau des aisselles (fig 4) permettant une bonne mobilité des membres supérieurs.
Un « décrochement » a été effectué dans la coupe au dessus du niveau des genoux (fig 5), comme la source semble le montrer. Il apparaît, au delà de l’aspect visuel original, que cette coupe a son utilité lorsque l’on monte à cheval équipé. La protection de la cuisse est du genou restent efficace et le confort en selle est excellent. Il n’y a pas de gêne avec le pan arrière du gambison sur la selle.
C’est un vêtement porté très près du corps et l’on comprend, lorsque l’on porte le haubert, l’utilité d’un écuyer pour enlever l’équipement. Il pèse un peu moins de cinq kilogramme (sec) ;o)
Ce gambison a été utilisé en « soft » combat et a parfaitement répondu à mes attentes en terme d’absorption des chocs dans cette situation précise. Il va sans dire que dans l’hypothèse d’un combat réel, son utilité serait certe importante mais ne ferait qu’atténuer des dommages corporels certains, là où s’il eut été absent, ces mêmes coups eurent pu être décisifs voir fatals.